JAMIE ET NAÏS ✻
alors il faut rattraper le temps perdu
le temps passé loin de l'autre

Depuis combien de temps Naïs errait-elle dans les rues à la recherche de quelque chose qui pourrait la sauver, sans réellement savoir quoi ? Depuis combien de temps des larmes roulaient sur ses joues rosies par l’émotion, tandis que sa démarche se confondait avec celle des rôdeurs qui, pour l’instant, semblaient rester cacher, à son plus grand bonheur ? Quelques heures, peut-être même plus. Elle avait faim, terriblement faim, et froid aussi. Elle n’avait plus rien, pas même un endroit où dormir, ni des bras pour la consoler alors qu’elle venait de passer les dernières quarante-huit heures les plus horribles de toute sa vie. Elle avait véritablement tout perdu. Des flashs apparaissaient dans son esprit et la hantaient jusqu’à la rendre folle, alors que tous les membres de son corps tremblaient de froid, de peur, de terreur. Qu’avait-elle fait ? Qu’avait-elle donc fait pour mériter autant de souffrance, autant de malheur ? Ce n’était que la mort qu’elle semait autour d’elle alors que l’épidémie se propageait de plus en plus dans la ville. Kenaï mourrait à feu doux, et ses habitants aussi.
Naïs ne semblait pas encore se rendre compte que plus jamais elle ne reverrait sa famille. Qu’elle n’avait plus de famille. Les Hiddelson avaient toujours été de ces gens qui savaient comment s’y prendre pour se faire remarquer. Déjà toute petite, Naïs se comportait une princesse capricieuse qui pensait que l’univers entier était centré autour de sa seule et unique personne. Egoïstement aveuglée par la fausse richesse de ses parents, elle pensait pouvoir vivre éternellement dans le luxe et le confort, accompagnée de son frère jumeau, Nicolas, plus souvent surnommé Nick, qu’elle tenait à garder près d’elle, comme un garde du corps, l’utilisant pour sa propre sécurité. Douce naïveté qui l’avait accompagné jusqu’au jour où la vérité fut révélée, et qu’encore une fois, les Hiddelson avaient frappé par un scandale, cette fois-ci, et non l’heureuse naissance de deux superbes bébés. Un trafic de drogues avait été mis sur le dos du père, qui devait la moitié de sa fortune à la revente de substances illégales, et peu de temps après, il passait ses premiers jours derrière les barreaux. Naïs se souvenait des nombreuses fois où, avec sa mère et son frère, ils lui rendaient visite, jusqu’à sa sortie, quelques années plus tard. Rarement on lui avait parlé de cette sombre période de la vie des Hiddelson, qui avait apporté honte et péché sur leur nom de famille. Et pourtant, personne n’avait osé les défier, les insulter, se moquer d’eux. Personne n’avait osé se prétendre supérieur, car définitivement, même après cette lourde épreuve, ils restaient dans le haut du tableau, l’élite. Et c’était cette renommée, cette gloire, cette influence, qui avait mené Naïs à ce qu’elle avait été, autrefois. Au collège, puis au lycée. Une simple adolescente trop imbue d’elle-même, narcissique, égocentrique, hypocrite, utilisant de ses atouts physiques et intellectuels pour parvenir à ses fins, sous les yeux aimants de ses parents, fiers de leur rouquine préférée. Nick, quant à lui, avait toujours été le bon garçon, qui rattrapait sans arrêt les erreurs et maladresses humaines de sa jumelle. Car même si on pouvait administrer tout un tas de défaut à Naïs et sa superficialité, s’il y avait bien quelqu’un qui n’avait jamais cessé de l’aimer, c’était bien Nicolas.
Elle l’avait vu se faire arracher le bras par un rôdeur et, planquée derrière cette minable caisse, elle n’avait pas bougé d’un cil. Pas d’un cil. Elle était restée immobile, pareille à une lâche. Elle avait tout fait foiré alors qu’elle aurait pu l’aider, trouver quelque chose, n’importe quoi, et le flanquer dans le crâne de ce monstre. Rien ! Elle n’avait absolument rien fait, et déjà la culpabilité commençait à lui ronger petit à petit chacun de ses organes, qu’elle sentait crier dans tout son frêle corps. Les vibrations de son chagrin naissant secouaient son cerveau alors qu’elle ne marchait plus droit, perdait l’équilibre, complètement folle. Elle avait tellement besoin de quelqu’un…
Soudain, des pas. Elle se retourne vivement alors qu’un éclair de peur traverse ses prunelles. Un rôdeur ? Si c’était le cas, elle était condamnée, incapable de se défendre. Et peut-être que c’était pour le mieux. Peut-être que la nature la punissait pour ce qu’elle avait fait. Peut-être qu’il était temps. Alors, une silhouette se dessina à la lisière de la forêt, et Naïs faillit s’évanouir lorsque, après quelques longues secondes d’examinassions, elle reconnut enfin le visage fatigué qui venait d’apparaître devant elle. Jamie.