› « Bonjour »
Nora avait rencontré Micah lors de l’un de ses rares séjours à l’hôpital. Elle avait les yeux bandés, un sous-officier ayant trouvé hilarant de faire exploser une bombe lacrymogène devant elle, et sa cornée avait été éraflée. Les médecins projetaient de l’opérer d’ici quelques jours pour qu’elle recouvre sa vision, mais en attendant elle se trouvait aveugle et vulnérable, dans sa grande robe bleue, allongée sur le large lit blanc de sa chambre privée. La solitude et l’ennui lui pesait, et personne ne lui avait encore rendu visite, à sa grande peine. Sa soeur passait ses examens, son autre soeur n’avait pas les moyens de se payer un aller retour jusqu’en Illinois et ses parents n’avaient pas voulu faire faux bond à leurs voisins, qui déménageaient, même pour leur fille seule et à moitié aveugle à l’hôpital.
La jeune femme savait que c’était sa faute, elle avait prétendu rester forte, optimiste et ne pas craindre l’isolement pour les rassurer et alléger leur culpabilité.
« Bonjour. Vous m’avez fait peur. »
Il l’avait tirée de son apitoiement, la faisant sursauter, en entrant sans prévenir dans sa chambre.
« Je m’excuse. C’est juste que tu avais l’air de t’ennuyer, alors je t’ai apporté de la lecture, mais maintenant que je te vois de face je me sens vraiment bête . Qu’est-ce qui est arrivé à tes yeux ? »
Elle avait ri, drôlement touchée par le geste.
« Juste une blague qui a mal tourné. Ça devrait aller mieux après l’opération, en attendant tu peux m’amener des livres en brailles. »
« Tu lis le braille ? »
« Non. »
Il avait ri, à son tour, et sans voir son visage elle avait su qu’il était aussi charmé qu’elle l’était.
« Je m’appelle Micah. J’ai 23 ans, et je travaille ici en tant qu’infirmier. »
« Nora. Je veux dire, Nora, c’est mon prénom. Ça ne veut pas dire ‘enchanté’ dans un langage étrange. Je m’appelle Nora.  »
Nora était rouge comme une pivoine, alors qu’elle s’empêtrait dans ses explications, n’ayant pas (ou peu) communiqué avec qui que ce soit depuis deux jours. Elle se sentait démunie et fragile dans l’impossibilité qu’elle était de voir le faciès de son interlocuteur.
Il posa une main apaisante sur son bras.
« Du calme, Nora. Je ne vais pas te manger. »
« Même pas une petite morsure ?  » avait-elle suggéré, lui arrachant un éclat de rire à nouveau.
Une semaine plus tard, à la sortie du bloc opératoire, il l’attendait avec un grand sourire et lui demanda de l’accompagner au cinéma quand ses yeux pourraient supporter l’image à nouveau. Elle avait accepté, ravie.

› « On m’a proposé une promotion, Nora »
Il lui avait dit d’un ton grave et triste, la tirant de son silence bienheureux et de sa position un peu provocante. Elle était allongée sur le lit, à moitié nue et habillée d’une nuisette qu’elle avait acheté la veille pour lui faire la surprise, mais s’il avait été confondu un instant par son accoutrement, Micah n’avait pas tourné autour du pot, déposant une baiser sur sa tempe, ignorant les formes agréables et découvertes de sa petite amie pour lancer cette phrase d’un air accablé.
« Félicitation, Micah, j’espère que tu as accepté, tu le mérites. » avait-elle répondue naïvement, sans comprendre où il voulait en venir.
« Nora, la promotion est à Haïti »
Elle déglutit de travers.
« Mais qu’est-ce que tu irais faire à Haïti ? »
« Ils veulent ouvrir un nouvel hôpital, ils cherchent du personnel infirmier efficace. Mon responsable a pensé à moi immédiatement, il veut que je supervise le personnel infirmier. Je ne peux pas refuser, Nore. »
« Qu’est-ce que ça veut dire pour nous ? » s’enquit-elle à mi-voix, tremblante, mélancolique mais surtout résignée. Elle savait déjà la réponse de Micah, il était trop loyal, il ne voudrait pas lui infliger la distance et les conséquences d’une relation entretenue à plusieurs milliers de kilomètres, entre trois appels skype, deux aéroports et des adieux à n’en plus finir.
« Nora .... » murmura t-il, suppliant, ses yeux intimants silencieusement : ne m’oblige pas à le dire.
« Dis le » ordonna t-elle en essuyant rageusement le maquillage qui coulait sous ses yeux « Vas-y, fais le. Ou est-ce que tu vas faire comme ton père et te barrer sans un mot ? Tel père tel fils. ».
Elle l’avait blessé, elle le savait. Ce qu’il lui avait dit sur son père était privé et douloureux, et elle l’utilisait délibérément pour lui faire le plus de mal possible.
« Je ne suis pas comme mon père » protesta t-il.
« Pourtant tu pars comme un lâche. Comme lui. » hurla t-elle, son coeur trop mutilé pour qu’elle retienne ses mots.
« C’est fini.» finit-il par dire fermement, mais elle pouvait voir le début d’une larme se dessiner à la frontière de son oeil. Au moins, elle pouvait en tirer la satisfaction de savoir que cette rupture leur brisait le coeur à tous les deux, lui arrachant même des larmes, à lui, celui qui ne pleurait jamais.
« Casse toi. » commanda t-elle « Barre toi d’ici. Je ne veux plus te revoir. ».
Il resta planté là à l’observer, l’air vaguement abruti, mais ne la voyant pas desserrer les dents, il finit par partir en claquant la porte.

› Entre Ellia et Micah le courant est immédiatement passé. Tandis que le jeune homme a été touché par la fragilité et la sincérité de la demoiselle, cette dernière a trouvé en Micah ce côté rassurant et protecteur qui lui manquait. Ils sont un peu comme les cinq doigts de la main, très souvent fourré ensemble, Micah veille sur la fille cadette de la famille Walker comme si sa vie en dépendait, alors que de son côté Ellia a trouvé en lui le grand frère et le confident qu’elle n’a jamais eu. Au final, les deux jeunes gens entretiennent une relation assez fusionnelle et purement platonique. Ou tout du moins jusqu’à présent, puisque les sentiments de la jeune femme ont désormais évolués. Cependant, Ellia est bien décidée à les brider coute que coute, elle ne veut en aucun cas risquer de ternir la relation et la complicité qu’elle entretient avec Micah et encore moins faire du mal à Nora.